Hasard du calendrier : un des frères d’Abou Shaheed (1) était convoqué hier en correctionnelle le jour même où son assignation à résidence devait lui être notifiée.
Ce jeudi, ce Mourenxois de 28 ans, cheveux et barbe courts, baskets, jeans et sweat, est poursuivi pour "menaces de mort" à l’encontre de deux gendarmes de la brigade locale et de leurs familles. Signe que l’affaire sort de l’ordinaire, des gendarmes en civil et des policiers de la brigade anticriminalité sont présents. Simple surveillance.
L’homme, actuellement sans emploi, a déjà dix mentions à son casier judiciaire : violences, dégradations, délits routiers, séquestration, infractions à la législation sur les stupéfiants, menaces de mort… Il est ce jeudi en récidive.
"Je suis armé"
Les faits qui lui sont reprochés remontent au 4 octobre. Ce soir-là, la capuche rabattue sur la tête, il s’est avancé vers une patrouille de deux gendarmes en surveillance passage Henri IV à Mourenx. Selon les militaires, le Mourenxois, accompagné de quatre ou cinq jeunes, aurait tendu un doigt dans leur direction et lâché : "Vous connaissez ma famille, je connais vos familles ; je sais où vous habitez et je suis armé". Le mis en cause, qui avait bu, aurait également évoqué sa religion - l’islam - et tenu des propos en arabe.
À la barre, cependant, le prévenu conteste fermement les propos qui lui sont attribués. "Des outrages oui, mais pas de menaces", résume son avocat, Me Julien Marco. Le Mourenxois reconnaît qu’il s’est adressé aux gendarmes qui s’étaient garés à une cinquantaine de mètres de son groupe : "J’avais l’impression qu’ils étaient là pour m’espionner, carnet à la main. Depuis le décès de mon frère en Syrie, ma famille est stigmatisée… Mourenx est une petite ville, on se connaît tous. On se sent mis à l’écart".
"Je ne pratique pas l’islam radical !"
Il est écrit dans le dossier que la famille d’Abou Shaheed jouirait "du statut de martyr" à Mourenx depuis le décès de celui-ci en Syrie. Son frère s’inscrit en faux et précise qu’il "ne pratique pas l’islam radical" : "Je suis loin de tout ça ! Je ne pratique pas de façon régulière. Je suis comme tout le monde. Je suis Français. Je veux seulement vivre paisiblement avec ma femme et mes deux enfants".
Le procureur Jeanne François rappelle que les faits jugés ont été commis "en dehors du contexte actuel" (plus d’un mois avant les attentats) et invite "à prendre du recul par rapport à l’actualité" pour examiner ce dossier.
"ll n’y avait pas d’arme"
"Si les faits étaient si graves, si les gendarmes considéraient qu’il s’agissait d’un islamiste armé, pourquoi se sont-ils contentés d’un simple procès-verbal, sans l’interpeller aussitôt ?", interroge Me Julien Marco. "Tout cela n’est pas sérieux. Lors de la perquisition, rien n’a été trouvé : il n’y avait pas d’arme ! C’est seulement quelqu’un qui est montré du doigt, et qui, s’estimant injustement traqué, a prononcé des mots malheureux".
Le tribunal a cependant suivi les réquisitions : six mois de prison ferme, sans mandat de dépôt. Me Julien Marco a aussitôt annoncé qu’il allait faire appel.
1) Ce Mourenxois avait rejoint le Maroc où il s’était radicalisé et a rejoint Daesh en Syrie, où il a été tué en juin 2014.
> Les difficultés des gendarmes à Mourenx
Lors de l’audience, le procureur Jeanne François a abordé le quotidien des gendarmes de Mourenx. Ils habitent au coeur de la ville nouvelle, dans les immeubles de la cité, subissent des pressions, avec parfois des dégradations. Certains outrages commis envers les forces de l’ordre ont déjà conduit leurs auteurs devant le tribunal correctionnel...
"C’est également très compliqué la nuit, quand ils se retrouvent en infériorité numérique", a noté Jeanne François. Ce qui s’est passé le 4 octobre dernier, un peu avant minuit, en témoigne… : quand un groupe est arrivé vers eux et que l’un de ses membres a menacé les deux gendarmes, ceux-ci ont fait demi-tour et n’ont pas affronté les jeunes présents. Ils ont ensuite dressé un procès-verbal de l’altercation, et le procureur a saisi la brigade de recherches d’Orthez pour mener l’enquête qui a abouti au procès d’hier (voir ci-dessus).
La création d’une caserne de gendarmerie est très attendue. Ce projet porté (et financé) par la ville et conduit par la Société d’équipement des Pays de l’Adour (Sepa), avance. Trois architectes ont été retenus et vont présenter leur travail en janvier. Le bâtiment sera construit sur un terrain près de la salle Louis-Blazy, sur un site libéré après la réalisation du centre de loisirs. Le maire Patrice Laurent compte bien couper le ruban inaugural avant 2020.